« Recycler » les infrastructures urbaines : expériences de Séoul et Beyrouth
Cherchez sur Google «siège auto enfant années 1960». C’est fait? Difficile de ne pas étouffer un rire mi-amusé·e (mi-scandalisé·e) face aux pratiques d’autrefois et de se demander comment « ils » pouvaient être aussi inconscients. Sauf que, en fait, c’est toujours « nous », et comme le dit la chanson, “The times, they are a-changin’.” Les gadgets dernier cri d’il y a cinquante ans sont aujourd’hui dans les fripperies, et je parie que les méthodes actuels d’éducation bienveillante seront un jour perçues comme (presque) de la torture pour enfants. J’exagère (un peu), mais vous voyez l’idée, non ? L’urbanisme n’y échappe pas. Pendant une grande partie du XXe siècle, l’aménagement des villes s’est structuré autour de l’automobile : des autoroutes traversant des quartiers historiques, ou des rivières transformées en canaux pour permettre l’expansion du réseau routier. Mais au cours des vingt dernières années, la tendance s’inverse, plaçant l’humain, le vélo et les espaces verts au cœur de la planification urbaine pour des villes plus durables et vivables. Dans certains cas, la clé ne réside pas dans la démolition et la reconstruction, mais dans le « recyclage » des infrastructures existantes. Regardons deux exemples en Corée du Sud et au Liban.
Aujourd’hui havre de paix en plein cœur de Séoul, le ruisseau Cheonggyecheon était, il y a un peu plus de vingt ans, une immense autoroute surélevée empruntée par 168 000 voitures par jour. Autrefois une artère fluviale essentielle, puis transformée en égout à ciel ouvert, la rivière avait été enfouie sous du béton dans les années 1960—le summum de la modernité à l’époque (vous voyez?). Une trentaine d’années plus tard, le béton se détériorait. En 2002, un projet ambitieux a été lancé pour transformer l’autoroute et restaurer le ruisseau. En à peine plus de deux ans et pour un haut coût de 386 milliards de wons, l’espace s’est mué en un corridor culturel dynamique aux multiples impacts: la température y est aujourd’hui de 3,6 °C inférieure à celle des rues avoisinantes, et la pollution de l’air a baissé grâce à une réduction significative du trafic, contrairement aux prévisions alarmistes de congestion. Un égout à ciel ouvert est aussi au cœur de l’évolution du corridor de la rivière Beyrouth, qui marque la frontière administrative entre la capitale libanaise et ses banlieues est et sud-est. Jadis cours d’eau naturel et site clé pour la migration des oiseaux, la rivière a été canalisée dans du béton en 1968 et bordée d’autoroutes. Coupée de ses écosystèmes et de ses communautés avoisinantes, elle s’est progressivement transformée en une friche polluée. En 2019, un projet piloté par des architectes a été lancé pour reboiser ses berges. L’objectif: reconnecter la rivière à son environnement naturel et aux habitants en réintroduisant des espèces végétales locales et en créant des espaces publics accessibles. Jusqu’à présent, les avancées sont encourageantes.
Ces deux exemples peuvent inspirer des villes confrontées au vieillissement de leurs infrastructures et à la nécessité de réduire les émissions tout en s’adaptant au changement climatique. Et avant de lever les yeux au ciel face aux pratiques d’un autre temps, essayons d’imaginer ce que nous faisons aujourd’hui qui fera rire (ou pleurer) les générations futures. J’ai déjà quelques idées en tête, à commencer par l’utilisation d’eau potable parfaitement propre pour… tirer la chasse d’eau.
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