Cartographier les villes invisibles
Trois tendances apparaissent partout dans le monde dans de multiples domaines :
- Nous remarquons ce qui est cartographié ou mesuré. Tout le reste disparaît.
- Une idée connexe : diverses entités, comme les grandes entreprises et certaines institutions gouvernementales, tentent d’obscurcir les problèmes et les informations pour dissimuler des parties des systèmes.
- Des données sont collectées partout et elles sont souvent saisies ou rendues privées alors qu’elles auraient dû être publiques et disponibles de manière transparente.
Dans cet article pour MAS Context, Olga Subirós explique comment ces trois tendances interagissent avec d’autres facteurs et pourquoi il est important que les citoyens cartographient les villes invisibles.
Il y a la souveraineté des données, que nous devons exiger de la sphère publique, ainsi que les données que nous pouvons produire de la citoyenneté active. L’objectif est de redessiner la ville en créant de nouvelles cartographies pour appuyer au mieux notre analyse et notre diagnostic, afin de résoudre notre coexistence et de garantir le droit à une ville équitable.
Lorsqu’on pense aux cartes, la plupart d’entre nous pensent au terrain, aux routes et aux bâtiments, mais, en réalité, bien plus pourrait être cartographié.
Cartographier l’invisible dans une ville, c’est mettre sur la carte l’éphémère. La ville est avant tout une activité invisible : les données sur l’usage du téléphone, les réseaux sociaux, les transactions bancaires, la consommation de biens de première nécessité, les enregistrements dans les restaurants et les lieux de loisirs, les plaintes, etc. mais aussi des données environnementales telles que la qualité de l’air, de l’eau et des sols, la pollution sonore, etc. Cela représente une énorme quantité de données et de métadonnées.
Comme évoqué dans les trois tendances ci-dessus, ce qui n’est pas indiqué sur une carte est souvent aussi important que les éléments qui le sont. Chaque décision de cartographier ou de mesurer un élément est, par définition, une décision d’en ignorer un autre. Ces décisions sont toujours de nature politique. Souvent, ces politiques sont influencées par des intérêts particuliers, comme les entreprises.
Cartographier « l’invisible » signifie cartographier tout ce que nous ne voyons pas, tout ce qui a été omis de la carte. Qu’est-ce qui n’a pas été cartographié ? Qu’est-ce que nous ne montrons pas qui fait perdurer l’inégalité systémique et l’injustice sociale et environnementale ? […]
La cartographie est un acte politique. Décider ce que nous considérons comme des informations nécessaires est une construction sociale. Dans cette veine, la cartographie n’est pas une simple représentation de données ; elle devient une présentation de preuves qui nécessite une autorité suffisante pour questionner, dénoncer, exiger des responsabilités et des changements dans la réglementation.
Après avoir établi les bases du pouvoir de la cartographie, Subirós détaille de nombreux projets et les organisations qui font ce genre de travail en surveillant la justice communautaire, les dépenses d’incarcération, les conflits liés à l’urbanisme, les violations des droits de l’homme, les expulsions et les programmes qui permettent aux citoyens de participer à des projets de cartographie.
La conclusion relie ces efforts à deux questions importantes : les critères d’une ville intelligente et les fausses informations.
Une ville « intelligente » est une ville dans laquelle les citoyens utilisent des données pour diagnostiquer ses problèmes. C’est de l’urbanisme d’utiliser les données pour le bien commun comme un outil de maintien du contrat social, un outil complémentaire à la participation citoyenne. […]
À une époque où les fausses informations sont courantes et où les secteurs du pouvoir persistent à nier les crimes, la création de preuves est un outil fondamental pour permettre aux citoyens de lutter contre l’exploitation, les inégalités systémiques et la surveillance de masse par les gouvernements et les entreprises.