Les réseaux intégrés de la CAPÉ, moteur d’innovation technique et sociale
Connue sous le nom de la CAPÉ, la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique réunit plus de 150 fermes certifiées biologiques et plus d’une centaine d’autres membres à travers le Québec. Comme son nom le dit si bien, elle s’implique pour rendre l’agriculture québécoise d’un vert plus foncé. La CAPÉ favorise également les circuits courts de distribution et renforce le lien social avec les consom’acteurs. Elle regroupe d’ailleurs la majeure partie des fermes québécoises offrant des paniers bio à l’intérieur du Réseau des fermier.ère.s de famille
Déjà, on peut sentir dans leur mouvement un lien avec nos Fab Villes et Régions. Explorons, avec quelques membres de leur équipe, comment certaines de leurs autres initiatives, peut-être moins connues du public, s’inscrivent dans cette vision.
Avec nous :
- Ghislain « Gigi » Jutras,
Membre associé, co-fondateur et chargé de projet à la CAPÉ - Matthieu Brisset,
Producteur membre de la CAPÉ, coordonnateur autoconstruction - Reid Allaway,
Producteur membre de la CAPÉ, coordonnateur autoconstruction
Général
Q – D’abord, si on tentait de saisir la portée de la CAPÉ avec les paniers bio, comment pourrait-on dire que cette habitude de consommation s’est installée au Québec?
Gigi : La formule des paniers bio s’est enracinée dans la Belle Province tel un rhizome dans un terreau fertile, c’est-à-dire de manière progressive et durable. D’une poignée de fermes maraîchères commercialisant sous cette forme au tournant des années 90, c’est maintenant plus de 150 qui s’activent de la sorte pour entretenir un lien synergique direct avec un vaste réseau mychorizien de bons mangeurs et mangeuses dépassant les 60 000*. Grâce au travail dévoué et constant d’Équiterre, de la CAPÉ et des fermier.ère.s de famille, cette forme de mise en marché en circuit court est aujourd’hui connue et pratiquée de Mont-Laurier jusqu’au Rocher Percé. Une idée qui a sillonné bien des terroirs depuis son germe d’origine au pays du soleil levant au milieu des années 60.
Q – Sachant que vous avez étudié un peu le mouvement Fab City, pourquoi est-ce que ça a piqué votre curiosité?
Gigi : C’est une question de consanguinité! La CAPÉ et le mouvement Fab City possèdent le même ADN à savoir les gènes de l’autonomie solidaire et de l’entraide sans frontières. En apprenant qu’il existait un réseau de citoyens motivés à produire localement sur mesure tout en étant branchés au reste de la planète, nous avons tout de suite perçu des affinités communes, donc l’intérêt d’entrer en relation plus étroite. La connexion n’est encore qu’à ses débuts, en même temps, elle annonce déjà une complicité génératrice d’innovations prometteuses pour les milieux urbains et ruraux en transition. Par le partage de données, de ressources et d’énergie motivante, nous augmentons nos chances d’atteindre plus rapidement et efficacement nos buts orientés vers la durabilité.
Autoconstruction
Le comité d’autoconstruction est une équipe qui organise des corvées de fabrication de toutes sortes de machines de ferme, souvent développées par la CAPÉ-même, comme des essoreuses à mesclun ou même un contrôleur de serre arduino, nommé Otomate.
Q – Pouvez-vous nous parler un peu de l’origine de ces corvées? À quel besoin est-ce que ça répond, versus un achat collectif de machines?
Matt : Ce sont des initiatives par et pour les maraîcher.ère.s écologiques de proximité. Les producteur.rice.s identifient eux-mêmes les besoins en équipement ou en machinerie qui ne sont pas comblés par les fournisseurs ou qui ne le sont pas adéquatement (ex. : équipement trop petit et adapté qu’au jardinage de loisir, ou encore trop gros, trop cher et adapté qu’aux productions légumières à grande échelle). Lorsque possible, des achats collectifs sont faits; c’est un autre des services de la CAPÉ. L’autoconstruction intervient quand le matériel n’est pas disponible sur le marché ou encore lorsque c’est un produit qu’il faut importer de loin, à prix exorbitant, alors que tout est disponible localement pour sa fabrication. C’est ce qui pousse les producteur.rice.s à joindre leurs efforts pour développer des solutions qui répondent aux attentes d’une majorité de fermes du réseau et à se réunir pour mettre en chantier les projets. Les ateliers sont aussi des évènements de formation où abonde le plaisir. C’est un gros plus pour les producteur.rice.s d’acquérir de leurs pairs les connaissances qui leur permettront de réparer ou d’adapter leurs équipements pour d’autres besoins.
Q – Pourquoi est-il important pour vos membres d’innover en matière de machinerie et d’équipements agricoles?
Reid : L’innovation importe pour combler les besoins des producteur.rice.s d’exploitations de petite et moyenne taille dont les activités sont souvent très diversifiées et qui par le fait même requièrent une panoplie d’outils. Ils ne peuvent se permettre d’investir d’immenses sommes dans des équipements industriels pour chacune des opérations, mais ils peuvent tirer bénéfice d’un modèle plus simple sur le plan de la conception, de la fabrication et de l’entretien tout en offrant des performances intéressantes et une productivité accrue versus l’alternative plus manuelle. Les exploitant.e.s qui ont une large gamme de besoins pour produire et vendre en circuit court représentent souvent un marché peu intéressant pour les fabricants de matériel agricole. Ils sont donc laissés sur leur faim quand vient le temps de se procurer des outils appropriés, accessibles et performants. L’innovation issue de nos membres permet de mieux outiller ceux et celles qui pratiquent une agriculture plus durable et diversifiée, ce qui va à l’encontre de la logique du marché prétendant que seules les grandes monocultures dévastatrices peuvent être gérées de façon rentable.
Q – Qui développe les outils? Est-ce que vous vous inspirez d’initiatives et de plan des projets de Farm Hack?
Reid : En général, nos outils sont issus d’un processus de design collaboratif interne à la CAPÉ, mais nous en avons aussi fabriqué plusieurs qui ont été dessinés par nos confrères et consœurs de l’Atelier Paysan en France, une importante source d’inspiration pour nous. Dans la plupart des cas, les projets surgissent d’un besoin courant chez plusieurs de nos membres, un besoin qui donne naissance à des solutions prototypes sur une ou plusieurs fermes. Ensuite, si l’intérêt semble fort pour poursuivre vers une fabrication collective, les prototypes se font analyser et optimiser pour une production en série. Ils sont redessinés aux fins de la première édition de chaque atelier. Pour la grande majorité de nos projets, la planification, la conception, le dessin, le magasinage, la formation et la coordination du chantier sont partagés entre les membres du « Comité – Autoconstruction » et les producteur.rice.s participant.e.s. Fait à noter, nous avons eu du soutien à plusieurs reprises de la part de deux profs du collège technique avec lequel nous travaillons depuis plusieurs années et aussi en provenance de sympathisants externes qui se greffent à nous pour un projet ou un autre**.
Q – Concernant la propriété intellectuelle liée à ces engins, comment en faites-vous le partage?
Reid : Notre but a toujours été de permettre la libre diffusion de nos plans sous licence Creative Commons. Le hic qui nous empêche de mettre le tout en œuvre à grande échelle, c’est l’absence d’une plateforme informative qui réponde à nos besoins de partage. Voir le site de l’atelier Paysan en France pour avoir une idée de l’ampleur qu’un tel projet peut prendre. Vous comprendrez sûrement pourquoi nous n’y arriverons pas sans dénicher une subvention qui saura rémunérer les heures qui y sont rattachées. Pour l’instant, c’est donc de façon informelle que les plans se partagent. Les demandes ponctuelles par courriel sont prises en charge par le comité organisateur (surtout Matt pour être honnête). En parallèle, nous poursuivons la recherche de subventions afin de mener l’organisation au prochain échelon de l’échelle. L’embauche d’un.e coordonnateur.rice à temps partiel et la mise sur pied d’une plateforme web permettront un plus grand rayonnement de nos activités pour le bénéfice de toutes et tous.
Même avec ces défis, je crois que nous avons une bonne longueur d’avance sur les efforts semblables ailleurs en Amérique du Nord. Quand je parle de nos projets d’autoconstruction avec des producteur.rice.s ailleurs au Canada et aux États-Unis, ils n’en reviennent pas à quel point nous avons beaucoup accompli. Ils n’ont rien de semblable, même pour les gens les mieux réseautés et branchés sur les nouveautés en agriculture durable. Alors que les Français continuent à nous devancer tout en nous encourageant à progresser, nous avons déjà réalisé beaucoup pour et avec les producteur.rice.s de proximité écologique au Québec. Nous bâtissons dans notre réseau de fermier.ère.s de famille un plus haut niveau d’autonomie, d’efficacité, de compétence et de satisfaction dont nous pouvons être très fier.ère.s!
*Le chiffre le plus précis serait 28 000 abonnements aux paniers du Réseau des fermier.ère.s de famille en 2020. Les inscriptions sont en cours pour 2021. La demande est encore plus forte que l’an dernier. Donc en termes de consommateurs, on dépasse assurément les 60 000.
**La CAPÉ collabore ponctuellement avec l’École professionnelle de St-Hyacinthe et l’Institut national d’agriculture biologique (INAB)